Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de la-vague-en-creux

Cinéma et utopie: Minority Report

1 Mai 2019 , Rédigé par la-vague-en-creux

 
... τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶ εἶναι. (Parménide)

car le pensé et l'être sont une même chose.

 

Cinéma et utopie

 

Au départ aucune utopie n’est ni bonne ni mauvaise, en rangeant de côté bien sûr les Fahrenheit 451 et autres Big Brother tiré de 1984 d’Orwell: ceux-là sont des cauchemars tirés des totalitarismes nazi ou stalinien. Il n’y a pour les “bonnes“ utopies que leur finalité, pourrait-on affirmer comme dans le cas très particulier du communisme et dont l'hypothèse très ancienne remonte déjà à Platon… Son nom est le premier sur la liste figurant sur la stèle de la Place Rouge et citant tous les penseurs qui ont contribué à l'idée du communisme en comptant Rousseau. Si l’on osait adopter ici un point de vue terre-à-terre !

Les utopies semblent quasiment toutes condamnées à finir en dystopies, vision pessimiste très répandue dans la littérature comme au cinéma.

Étymologiquement, le terme utopie provient du grec a-topos dans lequel le a- privatif du début indique que ce lieu n'existerait nulle part. Thomas More en est le grand initiateur de ce rêve, celui d'une humanité débarrassée de tous ces maux que tout le monde ou presque connait et qui empoisonnent la vie en société. Ces derniers pervertissent l'idée d'une société enfin libre, égalitaire et fraternelle qui fut tant rêvée au cours des siècles. Quasiment depuis les Grecs sinon avant... La tour de Babel en fait presque partie avec ce rêve inatteignable d'une humanité dotée d'un langage commun et universel: mais déjà là ça finit mal!

Il est intéressant de signaler que Thomas More est un des premiers à avoir écrit qu'il serait souhaitable que dans une société utopique, tout le monde puisse bénéficier d'un salaire minimum garanti. Cette idée sera d'ailleurs reprise par un député de la Convention pendant la Révolution française et elle resurgira périodiquement au fil des époques, y compris encore à l'heure actuelle comme dans la France insoumise récemment.

L’excellent film de Spielberg “Minority Report“ tiré d’une nouvelle de SF de Philip K. Dick témoigne d’une sorte de péché originel lequel serait présent au départ dans toute utopie lors de sa conception : une mise en abîme, ce par quoi tout a commencé… Une faille consubstantielle au projet d'une société presque parfaite.

De la conclusion de ce film émane un étrange message indéfinissable qui ne manquera pas de provoquer un certain malaise chez le spectateur. Au premier abord indéfinissable car très pessimiste sur le fond et semblant concerner par contagion toutes les utopies, même et surtout les plus séduisantes au départ. 

Dans ce projet de société utopique relaté au départ, naquit le projet de débarrasser la société du futur du crime grâce à une société dénommée PreCrime. Mise en place par un grand hasard dont on ignorera la provenance au début du film, celle-ci fonctionne grâce aux dons de précognition de trois frères et sœurs mutants. On ignore au début du film l’origine de leur pouvoir. Plus tard on apprendra qu’ils sont nés, deux frères et une soeur qui semble dominer le trio, avec ce don fusionnel suite à la toxicité de drogues consommées par leur mère durant sa grossesse: cela a provoqué des dommages irréversibles chez eux mais en contrepartie les a dotés de ce don unique de voir le futur. Du moins certaines bribes, comme si le libre arbitre laissait la possibilité de bifurquer vers tel ou tel embranchement de l'espace-temps et c'est là-dessus que s'appuiera la société PreCrime dont Tom Cruise est le capitaine d'une brigade d'intervention particulièrement musclée. À l'âge adulte ces mutants seront maintenus à l’état de zombies, prisonniers de cette société sous contrôle d’État qui les condamnera à servir pour toujours : à cet effet tous les trois sont maintenus dans une quasi léthargie et baignent en permanence dans un liquide amniotique surnommé « la piscine ». Arrivant grâce à leurs précieux dons à prédire tout crime avant qu’ils ne se produisent, une brigade policière spéciale dirigée par Tom Cruise parviendra à empêcher tous les meurtres systématiquement en se servant de leurs informations sous forme de bribes où ils perçoivent des flashs provenant du futur et qui leur indiquent le meurtre tel qu'il se déroulerait dans un autre espace-temps. Si cette brigade n'existait pas l'acte criminel serait effectivement commis. Le but de PreCrime est d'arrêter physiquement tout meurtrier avant qu’il ne commette l’irréparable grâce à ces visions parcellaires, donc avant que le pire ne survienne… Tout homicide demeure de l'ordre du possible et du contingent mais non du nécessaire et c'est ce qui semble être le message tout au long du film: de quoi son exécution dépendrait-il d'autre sinon d'une intervention rapide de cette brigade ? Apparemment ce serait inéluctable.

Déjà le film tord le coup à l'idée d'inéluctabilité du Mal: ce fut une préoccupation de l'Église que d'y répondre au Moyen-Âge en fournissant la thèse du libre arbitre.

Ces Pre-Cogs ne voient que des fragments communs à notre espace-temps et celui qui naitrait de l'embranchement résultant de l'effectivité de ce meurtre. Une ruse de Dieu en quelque sorte permet à ces mutants d'avoir juste les informations nécessaires pour fournir des indices à la police et tout dépendra de l'intervention de cette brigade, de sa célérité, ses capacités de déduction et de clairvoyance pour trouver où et quand doivent se dérouler ce crime d'après des indices souvent très minces et peu explicites. Espérer pouvoir le prévenir à temps ? Le dernier mot en reviendrait au final au libre arbitre. Comment tout cela a-t-il débuté ?

Au cours du face-à-face final mémorable, on découvre qu’un crime a été initialement commis par le père fondateur de PreCrime joué par Max Von Sydow, lequel s’est servi des talents de ces PreCogs pour maquiller un crime qu’il a lui-même commis sur la mère droguée de ces trois mutants. Afin de les lui subtiliser pour acquérir du pouvoir et de la notoriété… Grâce à un stratagème technologique subtil, il a échappé à une arrestation laquelle aurait été suivie par un emprisonnement cryogénique à vie: en effet, dans cette société débarrassée du crime on est condamné même si on n’a eu que l’intention d’accomplir un assassinat. Même sans l’avoir prémédité car seuls les PreCogs sont capables de les pré-voir: la sentence qui suit est une condamnation à perpétuité sur simple présomption de ces derniers et liée à leurs visions parcellaires mais toujours exactes. Les coupables sont cryogénisés et une seule personne, le gardien, suffit pour les surveiller tous. Ces mutants étant reliés tous les trois entre eux de façon fusionnelle, cela permet une totale opérationnalité pour la société qui les emploie: et ce bien malgré eux car on ne leur a pas demandé leur avis avant de les maintenir dans cet état second de léthargie… Eux ne se trompent jamais et c’est là-dessus que repose tout le film, avec cette idée originale d’une société enfin débarrassée de toute possibilité d’homicide. Par anticipation de l’acte criminel avant même qu’il ne soit commis.

Le nom du personnage interprété par Max von Sydow est Lamar Burgess et les cinéphiles y verront un clin d'oeil au 7ème art. C'était l'acteur fétiche de Bergman notamment dans Le Septième Sceau où il incarnera un chevalier existentiel du xive siècle, de retour des croisades en pleine épidémie de peste et qui jouera sa vie en faisant un match d'échecs avec la Mort. La Mort sera obligée au final de ruser pour remporter le match.

 

Célèbre actrice hollywoodienne, Hedy Lamarr était reconnue pour sa beauté et ses talents de comédienne. Elle était surtout une scientifique de talent, inventrice d'un système secret de codage des transmissions, à l'origine du GPS et du WIFI mis au point en 1941. Quant à Burgess c'est aussi le nom d'un célèbre écrivain britannique, auteur de "Orange mécanique", où il sera question d'une thérapie individuelle de la violence. Laquelle finira par échouer ce qui semblera donner au final raison à Freud avec son "Malaise dans la civilisation".

========================

Le projet initial de cette société utopique du futur a -et c’est l'ambiguïté initiale de ce film- commencé par un meurtre, son péché originel. On peut trouver qu'il y a quelque chose de biblique de par la référence voulue, consciemment ou non, à Abel et Cain: selon l’Ancien Testament nous serions tous descendants d’un assassin qui vivra le reste de sa vie en portant la culpabilité de son crime. Toujours selon la Bible, de par la chute originelle nous avons été amenés à transférer une partie de notre culpabilité à l’égard de Dieu vers une culpabilité mais cette fois sous forme terrestre. Et bien terrestre... Ce qui constituera un des nombreux aspects de la Révélation laquelle nous assigne bien entendu une mission, toujours selon la Bible ! 

La Chute est interprétée selon les exégèses comme conséquence d'un péché originel, celui d'avoir voulu connaitre. Et d'être libre c.-à-d. de pouvoir choisir. Le libre arbitre...

Lorsque Eve fait croquer la pomme à Adam, ce n’est rien d’autre que la Pomme du Savoir qu’ils ont arraché à l’Arbre de la Connaissance du Bien du Mal gardé par un Serpent surnommé le Tentateur, l'une des multiples facettes du Diable. Mais comme Dieu est omniscient et qu'il est jaloux de se voir dépossédé de cet attribut le définissant comme divin, il chassera Adam et Eve du Paradis avec cette phrase: « Vous prendrez conscience que vous êtes nus et serez comme des dieux qui verrez la différence entre le Bien et le Mal ». La naissance de la Morale est ainsi liée et concomitante à l’origine du tabou de la nudité car Adam et Eve vivaient nus au Paradis. Avant d’en être chassés définitivement et sans espoir de retour... C'est d'ailleurs ainsi que Dieu prendra connaissance de l'acte sacrilège qu'ils ont commis car Adam se présentera à lui vêtu d'une seule feuille de vigne pour cacher sa nudité.

Si on se limite au péché originel donné ou transmis par la Femme ce qui fut source de nombreuses protestations parfois violentes du féminisme notamment contre l'Église, la symbolique serait incomplète: la Pomme, c'est le libre arbitre et une fois arrivés sur Terre, la culpabilité du couple à l’égard de Dieu se dédoublera sous la forme d'une autre culpabilité. Humaine et bien humaine, cette fois terrestre et contingente… Comme tout le monde le sait, le premier couple de l’histoire donnera naissance à deux fils dont l’un tuera l’autre: Cain sera condamné à expier son crime. Il demandera pardon à Dieu le restant de sa vie: retour à l’envoyeur si l’on osait formuler ainsi de façon un peu brutale cette question liée à l’origine de la culpabilité selon la religion…

La Faute originelle se matérialisera sur Terre par ce qu’on peut caractériser comme une faute endémique envers l’Autre. Consubstantielle... Mais c’est une que l’on peut ou pourra expier par ses actions tandis que la première, celle contre Dieu lui-même que l'on a voulu concurrencer ne peut s’expier que par les prières. Selon l’Église BIEN SÛR. Avant tout par l’humilité et la contrition devant son Créateur...

Réalisant à la fin qu'il ne supprimera pas le chef de la Brigade joué par Tom Cruise, celui-ci pourchassé à son tour quasiment depuis le début du film car dénoncé par une vision des PreCogs mais qui arrivera néanmoins au terme d'une longue traque à retrouver la trace puis la preuve de la faute originelle et criminelle du créateur de PreCrime, ce dernier Lamar Burgess, une fois acculé retournera contre lui-même l'arme qu'il a reçu en cadeau au cours d'une cérémonie publique. Et il se suicidera. Happy end en quelque sorte ? Les PreCogs enfin libérés mèneront une vie normale sur une île déserte, totalement éloignés et à l'abri de tout contact humain. L'humanité reprendra le fil de son histoire, une qui comporte un aspect indubitablement criminel mais consubstantiel à sa nature et dans laquelle seul le libre arbitre permet réellement à un individu social de décider s'il effectuera un acte criminel ou non. Et décider de son propre chef s'il mettra tout en œuvre pour l'empêcher. Il est intéressant de voir que le nom du futur ou présumé meurtrier arrive sur une boule de bois vierge au départ et descend le long d'un conduit pour que le nom soit gravé dessus ensuite, comme si le suspense devait être maintenu jusqu'au bout comme au loto et que la part "belle" revient au dieu Hasard: qui sera le prochain meurtrier sur la liste et qu'il conviendra d'arrêter par tous les moyens ? La leçon de Cain à l'humanité qui lui succèdera...

Pour en revenir à ce film, la Folie a le mérite de ne pas savoir où elle va alors que l'Utopie se propose un univers plausible (J.C. Polack, Politiques de l'inconscient). Si l'Utopie initiale se transforme en dystopie, c'est bien que quelque chose a été mal pensé au départ: un investissement oblique lié au Désir ou la sous-estimation concernant les conséquences imprévues d'une cause laquelle mènera à un effet quasi destructeur, celui du projet de base. Lorsqu'on extrait de l'homme uniquement sa part de rationalité, de méthode et organisation scientifique à l'exclusion de l'humain avec ses affects, empathie et sentiments pour combiner cela avec une folie collective et meurtrière comme une qui a pour but d'exterminer, cela donne la Shoah. Les génocides en général...

Tout cela n’est pas très freudien orthodoxe comme interprétation et les psychanalystes risquent de me maudire.

 

 

24-04-2019

(S. Hubert)

Cinéma et utopie: Minority Report
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article