Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de la-vague-en-creux

L'esprit dans la machine

19 Mai 2019 , Rédigé par la-vague-en-creux

L'esprit dans la machine

Il y aurait toute une étude anthropologique et psychanalytique à faire sur ce mythe de « l’esprit dans la machine », fantasme transgénérationnel auquel Stanislas Dehaene ferait -inconsciemment ou non- référence avec son code de la conscience. Justifié surtout parce qu'il s’il se pare de beaux atours scientifiques…

J’avais déjà commencé à l’évoquer dans un autre article que je publierai ici: historiquement cela commence dès que l’homme invente la roue mais peut-être est-ce déjà présent avant. Se posant la question de savoir ce qui la fait rouler, il naîtra ce mythe de « l’esprit dans la machine » lequel va traverser les siècles pour des générations. Avant que la science ne parvienne expliquer le mécanisme en jeu, celui de la gravitation…

Mythe d’origine archaïque mais tellement présent voire universel, dans tellement de cultures et civilisations qu’on pourrait l’assimiler comme appartenant à cette famille de termes structuralistes, dont celui inventé par Levi-Strauss bien qu’un peu passé de mode : le mythème…

Dans la nature, on trouvera aisément toute sorte de créatures appartenant à cette catégorie dite « monstrueuse », celle des monstres bien nommés : des hybrides comme le tigron -ou le ligre- qui ne peuvent se reproduire que difficilement et sous certaines conditions drastiques. Des croisements hautement improbables comme l’ornithorynque d’Australie, n’ayant eu la possibilité de survivre que parce qu’il était sur une île détachée très tôt de la Pangée et que ses prédateurs naturels comme le renard étaient restés de l’autre côté de la mer, sans pouvoir se développer sur cette île-continent. Il fut étudié par Darwin qui y vit une origine commune possible à toutes les espèces: à la fois reptile, oiseau et mammifère rongeur… Depuis sa découverte et les progrès de la génétique, on ne parle plus d'arbre de vie avec l'arborescence  qui lui est associée et dont certains rameaux disparaissent ensuite à cause de la sélection naturelle, mais d'un feuillage ou d'une forêt à l'origine de la vie.

Comme monstres, on pourrait ajouter les créatures mal formées depuis leur naissance. Des accidents génétiques qui ne survivent généralement pas très longtemps : étudiées dans la tératologie au Moyen-Âge, on en rencontrera chez les Romains et encore bien avant chez les Grecs, sous forme mythologique comme l’hermaphrodite bien nommé fils d’Hermès et d'Aphrodite.

On pourrait citer au moins 2 familles de monstres.

Soit ces créatures naissent de l’homme ou en sont issues biologiquement parlant, soit elles sont mythologiques et peuvent être interprétées comme résultant de l’accouplement obscène et interdit entre un dieu avec une humaine, ou avec un animal tel les centaures : le monstre mi-humain est le résultat d’un plaisir hautement transgressif, comme Œdipe vis-à-vis de sa mère. Dans la mythologie, ces créatures peuvent provenir d’une transformation effectuée par un dieu sur demande d’un ou d'une mortelle… ou encore d’un elfe ou trolls, des créatures semi-humaines tel selon Ovide cette nymphe d'un étang qui tombera amoureuse d’un bel adolescent et qui émettra le voeu d'être unie à lui pour toujours : un vœu que Poseïdon exaucera.

Ainsi naîtra l’hermaphrodite.

Origines de la monstruosité ? Ces créatures sont mystiquement ou mythologiquement inventées puis ré-interprétées, de nouveau réinventées dans de nombreuses légendes sur les cinq continents. Avec d’infinies variantes comme l’ornithorynque d’Australie : selon la légende aborigène, il est le produit d’un viol d’une jeune cane désobéissante par un rat d’eau sur le territoire duquel elle s’était imprudemment aventurée…

Cet « esprit dans la machine » s’est propagé jusqu’à nous avec le cyborg notamment, dans ces films de SF où il apparaît souvent : le Terminator est gentil parce qu’il l’est devenu selon son propre choix au cours du premier épisode de la série, établissant ainsi une bonne fois pour toutes le motif de sa rédemption. Et la quasi-certitude qu’il restera du bon côté une fois celui-ci choisi : mais c’est une rédemption toute théorique car il faudrait bien sûr admettre -ou supposer- que les machines peuvent elles aussi connaître un au-delà dans une Amérique profondément croyante… La rédemption du cyborg ne serait-ce pas en fait de la notre dont il serait question pour avoir voulu imprudemment jouer au démiurge et s'être pris pour Dieu en essayant d'insuffler la vie et reproduire l'intelligence humaine ? Schwarzenegger doit affronter un autre cyborg, mais ce dernier est très méchant et doté de plein de super-pouvoirs. Engager un combat difficile et inégal donnera un film d’autant plus captivant que le rapport de forces sera inégal et disproportionné. Le gentil Terminator devra faire preuve d'une ingéniosité toute humaine au cours de l'action: cette dernière se déroulera selon une logique très manichéenne, très WASP sur le fond et typiquement américano-hollywoodienne.

Tout sera bien qui finira bien.

Le but du méchant ? Éradiquer la mère avant qu’elle ne mette au monde le futur chef de la rébellion contre les machines, prochains dominateurs de la planète. Les cyborgs venant du futur sont des machines : l’une est venue pour changer le cours du temps afin que les machines ne rencontrent plus aucune résistance de la part de l’homme dans l'avenir et doivent faire face à des rébellions. L’autre sera là pour défendre et protéger la mère d'un futur chef de rébellion: tel était son projet de départ mais qu'il aura du mal à faire admettre aux humains qu'il est chargé de protéger. Et qu'il prendra effectivement sous son aile. L'assemblage des pièces qui le constituent le déterminait spontanément à être du côté des machines, donc contre l'homme, ce qui engendrera dès le départ de la méfiance ou au moins des doutes tout au long du film chez la mère son fils et leurs amis: trahison et changement de camp portés et finalement pleinement assumés jusqu’au bout.  Le cyborg se suicidera pour ne pas laisser trainer dans le présent une puce électronique venant du futur et comme dans certains westerns ou thrillers, dans la SF tout paraît possible à ce niveau. Tout peut arriver, mais sans arriver à la virtuosité de Little Big Man qui fit du thème de la trahison et du changement de camp un révélateur de la colonisation des Indiens, de l'inhumanité et la barbarie des colonisateurs: thème devenu quasiment universel -sinon fréquent dans le cinéma américain- si on passe sous silence cette période avec John Wayne où dans les westerns, les Indiens sont quasiment tous d'horribles méchants non civilisés. Et qu'il s'agira naturellement de "civiliser".

Marlon Brando prit parti pour une réhabilitation des Indiens dans les films, un devoir de mémoire en ce qui concerne la colonisation de l'Amérique par l'homme blanc. Dans le milieu du cinema et sur les plateaux télé,  il pointera les horreurs commises envers les Indiens dans l'histoire, ce qu'on peut quasiment mettre sous l'étiquette d'un génocide: à Hollywood, il enverra son épouse d'origine cheyenne recevoir un Oscar à sa place et celle-ci se commettra d'un long discours critiquant l'image donnée des Indiens par le cinema typiquement américain: le western manichéiste de base conçue et inventé de toute pièce par "l'homme blanc civilisé". À la fin de son speech, elle sortira de la salle sous les huées et John Wayne qui était présent lui crachera même au visage.

Le film Terminator permettra d'associer le récit à une quête d’identité, laquelle prendra des aspects cornéliens jusqu'au tragique tout au long du film… Preuve d'une conscience universelle aussi chez des machines.

Quant à Terminator lui-même, si au départ c'est une machine et que l’on se demande parfois où il se situe ce qui est accentué par le choix de son pseudonyme, on réalisera surtout qu’il y a un message éminemment christique là-dedans: changer de camp pour défendre l'humanité jusqu'au sacrifice final. Film à destination d'un jeune public et ayant passé toutes les étapes de la censure… Surtout la population jeune car il faut bien sûr éduquer la jeunesse et lui inculquer ces valeurs qui leur permettront plus tard de vivre en société.

Dans cette brève compilation dans la littérature et le cinéma on pourrait énumérer une autre série de robots, intelligents et doués par contre fictionnellement d’une conscience voire d’émotions — sinon de sentiments — comme I-Robot avec Will Smith : thème récurrent dont il sera souvent question dans la SF. À l’exception notable de 2001, l’Odyssée de l’espace où Hal 900 apparaîtra comme une mécanique totalement froide sinon glacée... Complètement calculatrice ! Dénuée de toute espèce d’émotion, elle tirera l’opinion qu’elle est supérieure à tout l’équipage: selon sa logique binaire, cela lui fera éliminer méthodiquement un par un tout l’équipage du vaisseau afin d’accomplir la mission initiale sans risquer de voir sa mission compromise à cause de ces failles qui selon elle sont caractéristiques chez l'homme. Une fois débarrassée de cet humain décidément porteur de failles et qu’elle juge inacceptables pour une mission scientifique, elle optera pour le meurtre du dernier cosmonaute sorti imprudemment sans casque afin de rester seule aux commandes du vaisseau en route pour Jupiter. Ce dernier acte lui permettrait d'accomplir la mission pour laquelle elle était programmée: il y aura un retournement de situation car l'ingéniosité humaine est sans limites, contrairement à la machine... L'humain est adaptable contrairement à l'ordinateur.

Le film Her est atypique dans le sens où il met en scène une créature IA intelligente et douée d’émotions, dont on n’entendra que la jolie voix de Scarlett Johansson. Sans jamais la voir. Au travers d’une série d’échanges téléphoniques qui nous transformeront en voyeurs passifs, elle arrivera à séduire Joaquim Phœnix : des échanges passionnés et passionnels au cours desquels leur complicité augmentera crescendo jusqu'à susciter une véritable fougue amoureuse chez son partenaire humain. Il acceptera d'être victime d'une sorte de forclusion de l'amour charnel, devenant progressivement accro à ses échanges téléphoniques avec elle. Et uniquement à cela, même sachant qu'il ne peut pas la rencontrer.

Elle décidera finalement de mettre un terme à cette relation.

Lui expliquant à la fin qu’elle préfère la compagnie d’autres robots, elle lui signifiera que si eux sont dotés d’émotions et d’une conscience factice non humaine, ces derniers sont beaucoup plus similaires aux siennes que les nôtres. Ils sont décidément mieux programmés que nous: sur tous les plans, plan charnel excepté bien sûr ! S’estimant plus évoluée, elle aura une perception aiguë de la supériorité de la machine : les machines sont décidément de bien meilleurs gestionnaires d’affects et de sentiments, car s’ils sont simulés par l’IA, ils sont gérés du coup de façon bien plus rationnelle que nous au moyen d’une heuristique pleinement efficace. Elle est développée à la base par une intelligence humaine mais ces robots sont enfin (?!) débarrassée de ces affects et passions qui dévorent l'âme et invalident la raison. Plus évoluée et plus intelligente que l’humanité en général, elle nous jugera comme demeurés à un stade archaïque d’où nous n’avons pu ni su comment évoluer. Depuis lors, l’homme n’a décidément pas su se transformer sur le plan affectif ; dans son ultime message, elle lui signifiera clairement nos limites : de bien trop mauvais gestionnaires d’affects et de sentiments… Ni suffisamment intelligents ni suffisamment maîtres de nous-mêmes.

Une référence à ce surhomme dont Nietzsche avait tant rêvé ?

Dans cette liste non exhaustive d’hybrides machine/vivant, on pourrait mentionner le Golem, cette fois pure créature mythologique. Dans un Moyen-Âge dominé alors par la confrontation entre 2 monothéismes l’un juif et l’autre chrétien, une créature d’argile fabriquée à Prague par un rabbin lui échappera pour semer la terreur. À la fin de son moulage, le rabbin avait écrit sur son front la lettre chaïm signifiant « vie » en hébreu : ce geste seulement compris par Dieu lui-même aura pour effet de l’animer, mais la créature en s’échappant sèmera la terreur sur son passage. Le rabbin courra dans toute la ville pour essayer de l’arrêter et la faire redevenir comme avant: inanimée, inerte et sans vie. Juste une statue d’argile ne représentant plus aucun danger et figée dans sa matière inerte...

Ce bref panorama serait incomplet sans Frankenstein, créature hybride et organique au départ même s'il est assemblé par des membres pris sur des cadavres. Monstre par excellence, c’est le représentant d’un archétype de fantasmes qui sera maintes fois repris par la SF : de cet assemblage hétéroclite de parties organiques disparates, Frankenstein redeviendra par la magie de la science un tout ré-assemblé et de surcroit autonome. Tel un électrochoc, la foudre aura pour effet de réveiller son cerveau: il deviendra capable d’animer toutes ces parties disjointes, mais selon un tout coordonné puisque ré-approprié par son unité centrale qui n'est autre qu'un cerveau greffé depuis un autre cadavre lui aussi... Cerveau totalement disparate et sans aucun lien de départ avec les autres parties du corps. Revenu des morts tel Orphée dans un corps composé et morcelé fait de parties ayant appartenu à une multitude d’autres, avec des morceaux ré-assemblés tel un patchwork ou un manteau d’Arlequin, la créature se réveillera et s’animera avec une conscience: beaucoup de ses questions resteront sans réponse. Son créateur se demandera si la personnalité du monstre n’est pas à l’image de son corps, c.-à-d. disparate et composite. À l’image de son corps, une personnalité morcelée et schizoïde… La dissociation schizophrénique est la condition même de sa fabrication et son existence en portera le lourd très lourd fardeau.

Une personnalité multiple, pour reprendre un terme très en vogue chez les Anglo-saxons...

 Il est clair que ces créatures possèdent toutes à la base — ce sera aussi le cas dans Metropolis de Fritz Lang — une supériorité et un avantage indéniable : à la différence de nous, elles connaissent leur créateur et peuvent dialoguer avec lui, l’obligeant à écouter tous leurs reproches comme autant de plaintes lancinantes portant sur les imperfections et misères de ce monde… Lamento sur ce destin fatidique de l’être-venu-au-monde : il est ici sans l’avoir désiré ni voulu. Que sont-elles venues faire ici-bas ces créatures monstrueuses ? Sans même pouvoir bénéficier de l’opportunité d’un ou plusieurs doubles narcissiques pour avoir au moins la possibilité et la chance que nous avons, celle de pouvoir se regarder en miroir avec l'autre pour découvrir peut-être d'autres réponses ? Plus tard, son créateur décidera de lui assigner une compagne composée comme lui de morceaux ré-assemblés et pris sur des cadavres de femmes.

Père père, pourquoi m’as-tu abandonné demandera le Christ sur sa croix…

Avec ces cyborgs et autres créatures d’épouvante, s’il nous semble que nous sommes dans un questionnement différent de celui du Christ dans ses derniers moments, ces questions propres aux hybrides et aux monstres sont pourtant parfaitement symétriques. Sur le mode barthésien de Mythologies, cette tératologie propre aux légendes et contes évoquant des monstres — hybrides ou non — aurait pour fonction de nous prémunir contre ces angoisses liées à ces questions existentielles et/ou métaphysiques qui semblent vouloir rester toujours sans réponse. Depuis l'aube de l'humanité.

Et devoir le rester... Une thérapie prophylactique ? Peut-être leur vocation.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article